• Le soleil n’allait pas tarder à se lever, délivrant son lot de rayons qui viendraient agresser vos rétines fragiles. Mais la jument était couchée là. Calme et sereine, ses paupières presque closes, elle restait immobile allongée dans le doux sable de la plage. Les membres repliés sous son corps fin et le bout de son nez effleurant les grains de sable, elle observait la beauté du lieu. Ici, il n’y avait rien si ce n’est la mer, le sable et l’aurore naissante. C’était un endroit parfait pour la demoiselle qui semblait déjà avoir adoptée ce petit lopin de sable. Pourtant, à part observer les nuages rosés, bercée par le roulis des vagues, il n’y avait strictement rien à faire. Et ce calme, elle l’appréciait.
  
  Les naseaux ronflant doucement sur le sable, la jolie jument semblait aussi douce qu’une jeune biche. Elle semblait presque endormie tellement son calme était surprenant. Cela faisait un bon moment qu’elle était ici, surement même depuis la veille. Mais elle se sentait tellement bien qu’elle aurait pu rester ici encore pendant des heures. Après tout, qui cela aurait-il dérangé ? La donzelle avait peu d’amis et ils ne chercheraient surement pas ce qu’elle faisait. Par conséquent, elle avait tout le temps devant elle et elle pouvait dévorer ce dernier avec délice. La jolie blanche bailla paresseusement avant de laisser échapper un puissant soupir, les oreilles placées vers l’arrière.
  
  Il lui sembla entendre un bruit très léger et elle ne sut pas vraiment si cela venait de son imagination. Après tout, le sable n’était pas une surface très bruyante et si un cheval venait par ici, elle ne l’entendrait surement pas avant qu’il vienne de près et derrière elle. La demoiselle jeta un regard aux alentours puis derrière elle et observa, sans rien dire, la silhouette qu’elle venait d’apercevoir.

D'un pas calme et assuré, Danaé prenait le chemin de la Mer d'Aurore. Tandis que sa bulle d'eau flottait à ses cotés, elle tentait de se souvenir de la sensation d'enfoncement que l'on pouvait avoir lorsqu'on marchait sur le sable. Ou plutôt dans le sable, du coup. Lorsqu'elle approcha de la plage, elle fut troublée par la sensation de toute puissance qu'avait la mer. Étendue jusqu'à l'horizon, imbattable, et avalant petit à petit le sable, elle ressemblait, lorsque la marée était montante, à un véritable prédateur. Lorsqu'elles s'enroulaient, ses vagues semblables à des crocs, avançaient furtivement de quelques centimètres à chaque fois, pour tenter de vous avaler. Ne laissant sur place qu'un peu d'écume, comme le lion laisserait une mare de sang.

La rouanne donna un coup de queue dans l'air et avança, un peu plus lentement qu'avant, vers la plage. Le sable n'était qu'à quelques mètres. Son élément un peu plus loin. Elle enfonça son sabot dans les petits grains, et frissonna. Sa bulle d'eau faillit tomber sur le sol, mais elle la "rattrapa" de justesse. Finalement, ça n'avait absolument rien de terrible. Elle continua sa marche, levant haut les sabots, à la fois pour une question pratique, mais aussi esthétique. L'air marin soufflait face à elle, laissant son odeur derrière elle, façonnant un chemin invisible à l'oeil, mais dévoilé à l'odorat sensible. Elle n'aimait pas ce que sentait la mer. Son effluve s'imposant à toutes les autres alentours, elle pénétrait dans vos naseaux avec force et envahissait vos bronches avec son parfum salé. Danaé aurait put vomir si son anatomie le lui permettait. Mais comme tous les équidés, elle ne pouvait qu'avoir une forte nausée.

La mer lui avait aussi caché quelque chose d'important. La présence de l'autre. Lorsque la rouanne vit l'autre jument la liaison avec sa "chose" se coupa. Une goutte perla à la surface de sa bulle d'eau. Elle glissa silencieusement, et atteint le point fatidique qu'était le plus bas. S'immobilisa un instant. Et tomba sur le sol en un petit clapotis. Ce fut suffisant pour réveiller la rouanne, complètement déstabilisée par la présence de l'inconnue. L'autre devait avoir entendu puisque ses oreilles pivotèrent. Stoïque, sans expression, Danaé attendait que le regard de la jument dévie vers elle. Ce qui était inévitable arriva, elle l'aperçut. Les deux étaient silencieuses. Alors Danaé avança vers la mer, sa bulle la suivant comme toujours, ne quittant pas la blanche du regard. Allongée, elle paraissait presque fragile. Passant à deux ou trois mètres d'elle, elle la toisa d'un regard étrange et, quand elle l'eut dépassé, ses yeux dévièrent vers son élément.

Elle mit les sabots antérieurs dans l'eau, et une vague vint chatouiller ses postérieurs. Sentant son élément naturel au contact de sa sole, elle soupira de plaisir. L'eau grimpa le long de ses membres à la manière de petites lianes, jusqu'à toucher le poitrail et le bas de ses cuisses. Ainsi, elle était clairement identifiée. La blanche saurait qu'elle avait en face d'elle une membre du Royaume de l'Eau. Mais l'odeur forte de la mer cachait celle de l'autre jument, et Danaé ne pouvait donc pas identifier l’appartenance de celle-ci. Feu, Air, Terre, ou peut-être Eau ? Elle se retourna vers l’inconnue et lui adressa un regard interrogateur. "A toi" cherchait-elle à dire sans prononcer mot. L'eau enroulée autour de ses jambes tomba, et se mêla à celle de la Mer, qui continuait inlassablement de monter, touchant presque la blanche maintenant. La rouanne attendait quelque chose d'original de la part de l'autre jument. Elle, avait choisi quelque chose de presque classique, qui n'était ni plus ni moins que le souvenir de son dernier moment avec Keïross dans les marécages, lorsqu'un serpent s'était enroulé autour de son postérieur. Danaé voulait quelque chose de plus fort de la part de la blanche.

La blanche s'était levée. Mince, bien proportionnée, et feminine au possible, elle devait surement beaucoup plaire à la gente masculine. Et pourtant, Danaé ne pouvait s'empêcher de la voir ... fantomatique. Sa silhouette était presque floue, sa robe troublante, et ses crins volaient au gré de la brise marine, à la manière de ceux des spectres tels que Danaé se les imaginait. Lorsque l'autre fit sa démonstration, la rouanne ne put s'empêcher de fremir lorsque les grains de sable la frolèrent. Mais l'inconnue avait fait preuve d'une parfaite maitrise de son élément. Qui d'ailleurs était l'ennemi du Royaume de l'Eau par exellence. Mais rien n'était joué pour le moment, et l'autre n'avait pas l'air hostile. Plus étrange qu'aggressive en fait. Elle ressemblait tout à fait à l'image que ce faisait Danaé des membres du Royaume de l'Air : discrets, calmes, étranges, et semblables aux fantômes. L'inconnue la salua, et la rouanne lui répondit d'un hochement de tête silencieux, qu'elle espérait ne pas paraitre trop froid.

- Que diriez vous de continuer sur notre lancée ?

Bizarrement, elle s'était toujours résignée à vouvoyer les êtres de l'Air qu'elle croisait. Ne pas paraître trop familière, on ne savait jamais ... Une masse d'eau diforme de quelques litres sortit de la mer pour venir se refugier entre les jambes de la rouanne. Sa bulle vint se joindre à ce qui tentait de se former. La jument avait décidé de poursuivre sur les reptiles. Ainsi, l'eau s'allongea et s'affina, pour tenter de ressembler à quelque chose. Lentement, mais surement, le serpent commençait à prendre forme. Son élément glissa sur le sol, en direction de la blanche, et passa entre les antérieurs de sa créatrice. La chose s'arrêta pour que Danaé puisse finir les détails. Elle sculpta des yeux, mouvait sa queue d'une manière plus naturelle, et essayait de faire naître quelques écailles d'eau.

Mais ce n'était pas encore assez saisissant. Alors le serpent se leva, et une langue fourchue sortit de ce qui devait être une bouche. Le reptile d'eau siffla doucement en direction de la blanche. L'air charmeur et intrigué à la fois, il avançait, serpentant sur le sol, les yeux vides fixés sur la jument du Royaume de l'Air. Mais son air changea. Son sifflement s'arrêta, il abbattit deux fois sa queue contre le sol, et prit un air sacrément aggressif. Il s'élança vers l'inconnue avec vitesse et hostilité. Ouvrant une bouche découvrant des crocs allongés et bien épointés, il visa le poitrail de l'autre. Mais il fut stoppé dans son élan à quelques centimètres de celle-ci : Danaé l'avait fait devenir de glace au moment de son saut d'attaque, et tentait maintenant tant bien que mal de le laisser flotter dans l'air. Relachant son emprise sur son élément, elle laissa la glace tomber à terre et s'éclater sur le sol en des milliers de petits morceaux.

La rouanne adressa un petit sourire narquois à la blanche et se retourna vers la mer, attendant la réponse de la dame de l'Air.