J'entrouvre un oeil, puis l'autre. Tiens, il fait jour. J'aime bien le jour. C'est joli, y a plein de couleurs partout. 

Enfin, actuellement il y a plutôt du vert à vrai dire. Du vert brunâtre. C'est pas si terrible. Mais bon. C'est pas grave. J'ai qu'à aller voir ailleurs. Pour trouver d'autres couleurs.

Je me met donc en route. Sauf que le vert brunâtre devient de plus en plus vert, et de plus en brunâtre. Pas super plan. Même le ciel commence à prendre cette couleur peu engageante. Le sol est humide, un peu spongieux, et émet un bruit étrange à chaque fois que je soulève les sabots.

J'envisage un instant de faire demi-tour pour aller chercher quelque chose d'un peu moins sinistre ailleurs, quand un mouvement attire mon attention. Je m'arrête un instant, balaie le marécage du regard, sans rien remarquer de particulier. Puis, en examinant le paysage plus attentivement, je reconnais enfin la vague silhouette d'un cheval, à quelques mètres. C'est une jument vert brunâtre, parfaitement assortie au reste. Quel sens de l'à propos. 

Je trotte à sa rencontre d'une foulée enthousiaste et la salue doucement. 

La jument s'arrete, mais c'est à peu près la seule réaction que j'obtiens. Pas de réponse, elle ne me regarde même pas. Qu'est-ce qu'il se passe ? Est-ce qu'elle a un problème ? Elle est blessée peut-être ? Je m'arrête à quelque pas d'elle, et lui lance doucement :

-Tout va bien ? 

L'étrangère ne semble toujours pas se rendre compte que je suis là. Elle regarde un moment dans le vide, puis elle se couche tout bonnement par terre, dans la boue. Ça doit être froid. Elle n'a vraiment pas l'air d'aller bien. Je sais pas trop quoi faire. Je ne vais certainement pas la laisser là toute seule. La pauvre ...
Je baisse l'encolure, jusqu'à toucher son flanc du bout du nez. Je la pousse un peu, esperant obtenir n'importe quoi, un signe de vie.

-Tu m'entends ?

Tout à coup, j'entends un bruit bizarre. Je cherche rapidement du regard une grenouille, ou un truc du genre, qui aurait pu en être responsable. Ne trouvant pas, je finis par comprendre que la jument par terre en face de moi a fait une tentative de communication. Mais cela échoue. Mais que va-t-on faire ? 

Elle a vraiment l'air malade. Peut-etre que je devrais aller chercher de l'aide ? Mais, quand bien même je trouverais quelqu'un, je saurais jamais retrouver le chemin jusqu'ici. Et de toute façon qu'est-ce qu'on pourrait faire à deux que je peux pas faire toute seule ?

Du coup je me résigne à être tout à fait inutile en enterrant l'inconnue malade dans un petit tas de questions.

La jument émet un autre bruit incomprehensible. J'en viens à la conclusion que je sers strictement à rien. Et je commence donc à m'en aller, la tête basse, triste de rien avoir pu faire. J'envisage encore une fois d'aller chercher de l'aide mais je trouve pas l'interêt. Donc je le fais pas. Et pars chercher un coin plus ensoleillé.

Wah, elle a aligné trois mots d'affilée, on progresse. Que je raconte moi ? Quoi, moi ? Mon histoire à moi ? Mais j'ai pas d'histoire. J'ai rien fait, jamais. Me suis baladée. Pour une histoire il faut de l'action et du suspense et des personnages ! Moi j'ai des forêts et des rivières et des clairières. C'est bien aussi. Mais pas trop interessant à raconter. Mais je vais pas rien dire. Elle m'a demandé ! Et je vais pas mentir, inventer, non plus, ça serait de la triche.

-Euh. Je m'appelle Vriska. Mais à part ça...