Trop de questions la tourmentaient. Le destin l'avait mise devant le fait accomplit, sans prémices ni avertissements. Son cousin, Keïross, avait disparu sans laisser de traces. Peut-être la situation aurait-elle été moins dramatique s'il n'était pas aussi le Maître de l'Eau. Celui avec lequel elle était censée guider le Royaume de L'Eau. Celui avec lequel elle prenait des décisions importantes. Celui avec lequel elle débattait des derniers événements et élaborait des stratégies pour redonner sa splendeur passé au peuple de l'Eau. Cela s'était toujours fait en binôme. Et voilà que le silver s'était évaporé. Volontairement ? Ou pas ? Mort ? Disparu ? Enfui ? Les rumeurs s'étaient vite répandues dans le Royaume de l'Eau, accompagnée de la peur de l'abandon. Un grand nombre d'entre elles disaient qu'il avait voulu échapper à ses obligations contraignantes pour rejoindre une dame qui l'avait charmé. Et qu'il les avait abandonné à leur sort. Mensonges. Quiconque connaissait bien l'ancien maître saurait qu'il ne pouvait en être ainsi. Keïross n'était pas de ceux-là, loin de là. Mais alors quoi ? Aucune réponse ne venait à l'esprit d'Ynix. Et pendant ce temps-là, son peuple s'agitait, s'affolait, et s'imaginait des scénarios multiples quant à la suite des événements. La rouanne avait remarqué qu'elle recevait de plus en plus de visites d'équidé de l'Eau suite à la disparition de son cousin. Elle s'en était d'abord félicitée, en concluant que son peuple s'était maintenant tourné vers elle en toute confiance. Mais sa soeur, Danaé, l'avait avertie du bruit qui courait à présent. Certains craignaient qu'Ynix suive le même chemin que le silver, et puisse fuir. Toutes ces "visites de courtoisies" n'étaient en fait que des ruses, pour vérifier si elle était encore là. Elle se sentait étouffée, surveillée, enchaînée. La situation était devenue impossible.

Elle avait peur que le moindre écart de sa part serait vu comme une trahison. Elle était donc restée dans son Royaume sans en sortir depuis des mois. Elle avait maigri, ses sabots étaient mal en point, et son poil terne. Elle ne ressemblait plus beaucoup à la fière Maîtresse qu'elle avait été. Elle avait passé la matinée à se morfondre aux marécages. La journée serait encore la même : elle ne ferait rien, elle recevrait une visite quand le soleil serait au plus haut et une autre quand il se coucherait, histoire de voir si elle n'avait toujours pas déserté. Mais Danaé était venue la voir. L'avait secoué et lui avait ordonné de sortir des terres de l'Eau. Il avait été convenu entre elles deux que sa jeune soeur la couvrirait. Si quelqu'un demandait où était la Maîtresse de l'Eau, Danaé répondrait qu'elle était indisposée et malade, et qu'elle ne pouvait donc voir personne. Le deal posé, Ynix s'en était allée vers la frontière.

Mais où aller ? La rouanne avait laissé ses membres vagabonder où bon leur semblait. Ils l'avaient mené jusqu'à la colline des neiges éternelles, constamment recouverte de poudreuse, en toute saison. Une des merveilleuses démonstration de la magie de Denmoriny. Qu'est-ce qui maintenait ce phénomène ? Qu'est-ce qui empêchait la neige de fondre ? Nul ne le savait. Mais c'était beau. Magnifique.

Au milieu de cette blancheur immaculée, un étalon. D'une belle robe crème. Il lui faisait penser à Szèl, le Maître de l'Air (encore qu'il paraissait qu'il avait lui aussi disparu, tout comme les Maîtres de la Terre, et les Maîtresses du Feu et de l'Air. Une malédiction frappait-elle les Maîtres en ce moment ?). Mais cet inconnu avait l'allure différente. Alors que Szèl était fin, mince, voir squelettique à faire peur, cet étalon là paraissait musclé, vif, et dans une excellente forme physique. Intriguée, la rouanne s'approcha silencieusement. Elle était face à lui, à une centaine de mètres, mais bien plus sombre que le paysage, il l'avait forcément vue maintenant. Elle avait retrouvé un pas fier, digne, comme la vraie Maîtresse de l'Eau qu'elle était devenue quelques années auparavant. Cette sortie hors de ses terres avait été une bénédiction pour son moral, elle avait déjà repris du poil de la bête. Arrivée à quelques mètres de l'inconnu, elle s'était arrêtée, prudemment. Qui était-il ? Tant qu'elle ne le savait pas, elle ne se risquerait pas à pénétrer dans son "espace vital minimum". Surtout que si, comme elle le supposait, il faisait partie de la famille de Szèl, que ce soit de loin ou de près, il faisait partie des ennemis. Un étalon de l'Air. Dangereux au possible.

- Excusez-moi, je m'appelle Ynix. Je me demandais si vous aviez un lien de parenté avec Szèl. Le Maître de l'Air. Vous lui ressemblez beaucoup.

[Ynix ne sait pas encore que Szèl a disparu même si des rumeurs courent, elle ne sait donc pas pour toi à l'instant présent]

Elle essaya de le détailler de façon plus ou moins discrète. De près, la ressemblance était moins troublante. Peut-être s'était-elle tout simplement trompée ? Elle se détendit un instant, ne pensant pas avoir à faire à ce qu'elle avait réellement en face d'elle. Qui aurait put se douter que Szèl avait perdu sa place et que cet être-là avait désormais sa place ?

L'étalon avait pris un air agacé. A la manière du chat dont les poils se hérissent, il avait tendu ses muscles pour paraître plus impressionnant. Les oreilles baissées, un sourire presque méprisant pour seule expression. Les paroles d'Ynix l'avaient-il exaspéré ? Elle n'en voyait pas la raison. Szèl était tout à fait respectable. Un ennemi certes, mais elle n'avait rien à ne lui reprocher personnellement. Faire partie de la famille du Maître était-il une tare pour qu'il le prenne aussi mal ?

- Je ne suis pas celui que vous cherchez. Et je connais personne portant ce nom, avait-il répondu.

Il ne connaissait personne de ce nom ? Que pouvait-donc signifier cela ? Maintenant qu'ils étaient plus proches, elle sentait l'odeur si particulière des êtres de l'Air qui pénétrait dans ses naseaux. C'était bien un étalon du Royaume de l'Air. Comment ne pas connaître le meneur de son propre Royaume ? C'était impossible. Il mentait, ou bien Szèl avait été déchu avait que celui-ci n'arrive ou ne revienne ici. Un natif qui n'était jamais parti de Denmoriny avait forcément déjà entendu le nom du Maître de l'Air. Ou de l'ancien. Les mots de l'inconnu avait fait douter la rouanne. Pour ne pas connaître Szèl il fallait que celui-là ait disparu. De la même manière que Keïross ? Le silver avait toujours rêvé de se venger du Royaume de l'Air : peut-être avaient-ils voulu se retrouver pour en découdre ? Cela expliquerait leurs disparitions simultanées ...

Le jument revint sur sa première impression : peut-être qu'il mentait. L'inconnu en avait l'air bien plus que capable, et même accoutumé je dirais. Il s'approchait d'elle, sans cacher son air mesquin. La Maîtresse de l'Eau eu l'impression d'entendre un grognement et elle fronça les arcades sourcilières. Qu'avait-elle cru ? C'était un être de l'Air, il ne présagerait jamais rien de bon. Cursed Elf devait bien être la seule d'entre eux à ne pas avoir cette noirceur dans son sang.

- Pourquoi donc s'approcher ? La distance qui nous séparait me convenait tout à fait. Reculez. Je ne respire pas le même air que ceux de votre Royaume, j'aurai bien trop peur que votre odeur ne l'ai vicié.

Elle faisait discrètement fondre la neige sous ses sabots. Elle avait toujours trouvé que, liquide, son élément était bien plus maniable. Si l'étalon crème était hostile, elle voulait mettre toutes les chances de son coté. Elle n'allait pas donner son coeur sur un plateau à un tel être. S'il le pensait, alors il se trompait. Gravement.

Ynix appela à elle son élément. De fins filets d'eau serpentèrent autour des ses jambes. Elle les avait façonné de manière à ce qu'ils ressemblent au reptile qui l'avait mordu le jour où elle avait connu Delomnas. La peur des serpents avait finit par la quitter, et elle les trouvait fascinants à présent. Un des quatre reptiles d'eau qui avait entouré sa jambe siffla vers le crème. Elle avait caché le moment où elle liquéfiait la neige quelques instants plus tôt mais ce n'était plus d'actualité. Désormais, elle exhibait son don, de la même manière que lui avait bombé le torse quelques secondes plus tôt. Sa faculté était son meilleur moyen de défense, et n'était soumise qu'aux lois physiques et à son imagination. Elle n'avait pas toute l'inventivité de sa soeur, mais ses créations restaient tout de même efficaces.

Elle aussi, avait moyen de se défendre.