Et l'inconnue qui s'approchait n'était autre que toi, sombre jument à la robe de jais, à l'œil plein de malices et au corps finement sculpté. Seule encore, tu poursuivais ton tour d'horizon, cherchant à te souvenir de ces vastes endroits qui avaient été les terres de ton enfance et qui, à ton plus grand plaisir, demeuraient sauvages. Les menhirs n'avaient pas bougé, et ils se dressaient encore fièrement, comme autant de pics acérés tendus vers le ciel, cherchant à le crever d'un seul élan. Oh, que tu avais passé de longues heures à les regarder ! Plus jeune, tu avais joué dans leur ombre le jour, dormi à leur pied la nuit. Combien de fois avais-tu ouvert de grands yeux sur le ciel plein d'étoiles qui semblait se baisser jusqu'à toi, t'invitant à rejoindre ces milliers d'astres ? Ici, le temps n'existait plus, et chacun était libre de se réinventer, alors que seules ces pierres géantes pouvaient prétendre en être le témoin.

Métamorphoses.

Explosive, tu galopais rapidement, tes foulées amples et longues s'allongeant ay fur et à mesure. Ton sabot, solide et clair, frappait le sol avec entrain, t'offrant un rebond des meilleurs, et déjà, tes muscles saillants roulaient sous ta peau. De loin, malgré ta finesse, tu aurais pu te confondre avec un puissant étalon au profil danseur et au fort apport oriental. Pourtant, il n'en était rien : ton col était fin, et ton port altier souligner une fluide embouchure qui dévoilait une tête mi longue, au chanfrein étroit et osseux, mais dessiné des traits les plus fins, des mains les plus expertes.

Bientôt, l'écho d'un rire te parvint, porté par un vent calme et chaud. Tu n'étais pas seule. Doucement, tu commenças à ralentir ton allure vivante et expressive, reprenant finalement le trot, ta queue corbeau portée en bannière. En face de toi s'approchait un étalon à la robe isabelle, un étalon dont tu ne connaissais rien, toi qui avais oublié chaque visage de ces terres, toi qui n'avais su rencontrer les nouveaux, puisque perdue à des kilomètres, enfermée dans ton exil de guerre, de sang et de vent.

Que le jeu commence ? Tes pensées sourirent, charmantes à ton esprit. Sûre, tu t'avanças encore, et déjà, de ta voix éthérée et suave, tu répondais :

| Entrez donc dans la danse !

Tu n'avais, de toute ta vie, jamais reculé et insolente, tu étais du genre à te lancer dans n'importe quelle entreprise, pourvu qu'elle puisse t'offrir cette inégalable sensation de vivre.

Belle et jeune, tu semblais parfois insouciante, te lançant dans d'incroyables entreprises comme si des forces veillaient sur toi, inébranlables et si sûres que rien ne t'arriverait jamais. Et quand ils te voyaient, ils te pensaient naïve, prête à te jeter à corps perdu dans n'importe quel piège ou jeu qui, tôt ou tard, devrait se refermer sur toi, te faisant captive et te brûlant les ailes. Oh, mais de tes jeunes années, tu avais déjà connu l'amour, le vrai, le grand ! Une année à te fracasser contre cette ardente passion, apprenant que chaque pas pouvait se faire danse, découvrant que même en aimant, il pouvait y avoir d'ultimes violences, d'ultimes coups et d'ultimes blessures. Aussi, aujourd'hui, tu ne craignais plus de te frotter à des étalons plus puissants que toi, à des étalons qui s'affichaient clairement comme étant de grands séducteurs.

Et pensait-il t'impressionner, en tournant ainsi tout autour de toi, détaillant de ses yeux noirs ton corps aussi puissant que fin ? De nouveau, tes pensées sourirent, bien que tu n'en montras rien. Il pensait pouvoir te manipuler, comme si tu étais une de ces juments naïves. Il se trompait. Il se trompait, mais l'idée de lui faire croire qu'il avait sur toi l'aval te plaisait et, joueuse, tu n'hésiterais pas une seconde. Aussi, alors qu'il te tournait autour, tu avais légèrement cambré tes reins, presque provocante. Monsieur ne dansait pas, monsieur jouait. Sourire.

| Et quel est donc ma place, dans ce jeu que vous construisez ?

Ta voix était douce, mélodieuse et charmante, comme celle des toutes jeunes juments qui, pour la première fois, s'effarouchaient des avances trop peu voilées des mâles. Fins stratèges que vous étiez peut-être, le jeu serait amusant, pour peu qu'il ne se hâte de prendre forme.

Et quel était ton nom, jument terrible et cruelle ? Quels avaient ces mots précieux que tes parents t'avaient laissé en héritage ? Oh, tu les chérissais tant ! Deux mots, deux petits mots seulement, peut-être inaudibles pour certains, mais deux mots qui, réunis, devenaient forts, si forts. Mais cette question n'était qu'une façade, qu'un mensonge, qu'une enveloppe qui ne servait qu'à dissimuler lequel de vous allait prendre l'avantage sur l'autre. L'avantage. Pensait-il sérieusement que tu avais quelque chose à perdre dans cet étrange jeu ? Libre comme le vent que tu incarnais si bien, tu te moquais presque de ce qu'il pouvait penser : vos gestes n'étaient qu'illusions, que poudres aux yeux. Jamais vous ne révéleriez à l'autre ce que vous étiez en vous-mêmes : vous perdriez trop. Des noms, des souvenirs et des gestes échangés ne scellaient rien.

Pleine d'assurance encore, tu posas tes yeux noirs dans les siens, et droite sur tes aplombs, tu laissas tes mots de velours glisser dans l'air.

| Blitz. Blitz K.

Tes mots chantaient, jouant dans l'air frais du soir, alors que défiante presque, tu poursuivais, ton encolure se redressant pour ne laisser de toi que cette prestance naturelle qui se voulait impériale ou royale.

| Et vous, étranger, quel est le nom que l'on vous a laissé ?

Entre dans la danse : la partie est loin d'être jouée encore.

Le puissant isabelle semblait plein d'assurance et, s'il se perdait souvent au gré de ses réflexions, venait toujours un moment où il revenait à lui pour te répondre, t'abandonnant quelques mots de sa voix sèche. Mais il ne cherchait qu'à te manipuler et, malgré les formes douces et courtoises qu'il employait, tu t'en rendais bien compte. Il ne te connaissait pas, tout comme tu ne savais toi-même ce qu'il était. Mais croyait-il sincèrement que toutes les juments qu'il croisait étaient naïves ? Il se pensait peut-être le centre de la terre mais, malgré ton jeune âge, tu savais déjà. Tu savais les véritables passions, celles qui vous retournent l'âme et vous broient le cœur. Si tu entrais dans son jeu, les paris que tu y prendrais ne seraient important au point de pouvoir t'affecter réellement.

Quarz.  

| Enchantée.

Toujours cette voix chantante qui semblait prier ta décadente jeunesse.