Amanzi était concentré sur sa tâche. Qualité admirable. Et soudain, le lac s'ouvrit, littéralement. L'eau s'écarta, pour laisser un passage d'un mètre, peut-être deux, entre Ynix et lui. Cet acte demandait une certaine puissance, c'était indéniable, puissance qu'il avait, apparemment. Le doute n'était pas permis, il ne pouvait ne s'agir que de lui. Le visage de la rouanne s'adoucit. C'était une merveilleuse nouvelle.

Le beau gris souriait, heureux. Comme s'il venait tout juste de se découvrir. C'était agréable de le voir si joyeux. Certains étaient parfois apeuré de constater leur don. Mais pas lui. Au contraire.

- Vous êtes doué, Amanzi, le complimenta-t-elle.

Elle lui sourit, franche. Quelques secondes, elle resta muette, ne sachant comment enclencher sur la suite. Elle soupira, et se dirigea vers l'arbre qui surplombait le lac. Elle huma son écorce, doucement, respectueuse, comme si elle lui rendait hommage.

- Cet arbre est sacré pour les fils et filles de Denmoriny, vous le saviez ?

Elle se tourna vers lui, reprenant un air sérieux. Avec douceur, elle continua :

- Sacré, comme la tâche qui incombe à certains de ces fils et filles-là. A l'époque, tous et toutes étaient mêlés. Ils ne faisaient qu'un. Mais des querelles, bientôt, éclatèrent.

Ynix n'entrerait pas dans les détails. C'était une histoire sombre, appartenant au passé. Il fallait maintenant parler du présent. Tourner la page, et aller de l'avant, pour tenter de réparer les erreurs de ses aïeux.

- Les quatre éléments qui gouvernent notre terre ont alors été séparés. En résultèrent quatre Royaumes, liés pour toujours, et pourtant si différents les uns des autres. Et pour diriger chacun de ces Royaumes, des Maîtres, deux, une dame, et un gentleman. Enfin. Gentleman était un grand mot. L'Air notamment, avait longtemps été dirigé par de sombres messieurs. Je suis la Maîtresse de l'Eau, et c'est mon rôle, de guider les nôtres. Mais il existe un Maître, pour m'épauler dans cette tâche. Pause. Et ce Maître, Amanzi, c'est vous.

Elle le fixa, yeux dans les yeux. Quelle serait sa réaction ? Allait-il défaillir ? Fuir ? Ou bien accepter les lourdes responsabilités qu'impliquaient cet honneur ?

Amanzi s'était tut et l'avait écouté sans mot dire. La rouanne craignait de l'avoir effrayé. Puis il prit enfin la parole :

- Je ne sais vraiment pas quoi dire... Je trouve ça fantastique, mais tellement effrayant...

Ynix sourit. Elle aussi avait eu ce même sentiment, lorsque son cousin, Keïross, lui avait à l'époque informé de son statut de Maîtresse. Elle s'approcha de l'étalon gris, et lui donne un léger coup d'épaule. Elle se voulait encourageante.

- Vous ferez un bon guide pour notre peuple, je n'en doute pas.

Il lui semblait intelligent et réfléchi, et, mieux encore, conscient des lourdes responsabilités qu'il venait d'acquérir. Il ferait un bon Maître. Quelques mois lui seraient nécessaires pour comprendre ce monde, lui qui semblait ne pas le connaître. Mais, bientôt, il serait un étalon fort, et sage, à même de prendre les meilleures décisions. Toutefois, Ynix voulait s'assurer de ne pas être prise à dépourvu. Il n'y aurait pas de place pour la trahison, ou pour la monarchie. Qu'il ne compte pas gouverner sans elle. Sévère, elle continua :

- Notre Royaume, enfin, s'apprête à retrouver sa gloire passée. Mais l'union fait la force : nous devons parler d'une même voix, et prendre nos décisions d'un commun accord. Je ne laisserai nulle place aux initiatives personnelles. Un Maître et une Maîtresse en désaccord, c'est un Royaume déchiré. Je veux que vous me parliez de tout ce qui vous tracasse, et que vous m'avertissiez de toutes les décisions que vous prendrez. Je ferais bien entendu de même. Cet échange d'information est nécessaire.

Son regard s'adoucit, et elle colla ses flancs contre ceux de l'étalon. Douce, presque maternelle, elle souffla sur ses crins.

Je vous accorde toute ma confiance, Amanzi. Je sais que vous serez à la hauteur.