Dans la pénombre de la nuit, une demi-lune éclaire les monts enneigés du royaume de la Terre. La lumière du satellite se reflète se le blanc duvet des monts. En cette nuit, comme toujours, il neige. Bien qu'il fasse froid, le vent a décidé de les épargner. Sans doute fait-il suffisamment froid pour se passer d'un courant d'air glacial. Quoi qu'il en soit, la météo n'est guère des plus aimables. Il y a tellement de neige qu'on ne verrait dépasser les oreilles d'un poney. Heureusement, nous ne suivons pas un petit équidé. Le notre, blanc ibérique, n'est pas non plus des plus remarquables. Blanc sur blanc, il se fond dans la neige. Mais il est bien là. Les flocons de neige le contournent. Ce n'est pas qu'il n'aime pas l'eau mais il est suffisamment glacé pour ne pas en plus être trempé.

Konhandro se ballade tranquillement dans l'épais manteau de neige. Il n'est nullement gêné par celle-ci puisqu'il peut la déplacer à sa guise et suivre son propre chemin. La nuit, il préfère éviter de suivre les routes déjà tracées. N'y voyant déjà pas grand chose de jour, il lui est préférable d'éviter toute mauvaise rencontre la nuit venue bien qu'au fond, un peu de compagnie serait la bienvenue.

Patiemment, il avance tout en déblayant sa route. S'en fichant de laisser des traces de son passage, il déneige parfois tellement qu'il permet à quelques touffes d'herbe de montrer leur joli minois. Belles, des touffes d'herbes ? Non, appétissantes. Bien qu'il n'ait pas besoin de boire autant que d'autres équidés, l'étalon mange normalement. Alors, régulièrement, il s'arrête et dégage un bon carré pour brouter un peu.

La nuit ne fait que commencer. Peut-être sera-t-il sorti des montagne dans deux jours ou alors mettra-t-il plus de temps. En tout cas, il commençait à être fatigué le bonhomme. Alors il s'arrête, dégage un bon périmètre de neige et rebouche sur quelques mètres son chemin derrière lui. Il ne faudrait pas qu'un peu d'air frais vienne l'enquiquiner. Un doux matelas d'herbe l'attend. Un instant, Konhandro reste hésitant. Se coucher alors qu'il est seul, est-ce une bonne idée ? Non. Tant pis, il dormira debout, la croupe vers son sentier d'arrivée.

Doucement, il se laisse emporter par les bras de Morphée. Lourdes, ses paupières se ferment et bien vite, il se détend. Ses muscles se détendent. Sa tête, devenue pesante, se baisse au fur et à mesure qu'il s'endort. Bien vite ses naseaux en viennent à frôler le sol. Peu à peu, son poids se laisse aller vers l'avant. Bientôt, l'ibérique sera bien loin. Le pays des rêves l'attend.

Dans l'immensité blanche, le calme règne. Immobile, seul ce léger souffle qu'est sa respiration est audible. Il est accompagné du mouvement régulier de ses côtes et d'une fumée sortant de ses naseaux. Au cœur du manteau neigeux, la température est plutôt fraiche. Mais il ne tremble pas. Il ne fait pas suffisamment froid pour que ses poils ne lui permettent de contrer la météo. Alors paisible, il dort.

Ce moment de repos lui est agréable. Quelques jours plus tôt lui est venu l'idée d'explorer les terres des autres royaumes. Loin de là l'idée de provoquer. Non, il veut juste se sentir plus savant. Après ces journées de marche, dormir l'esprit tranquille est formidable pour ce peureux blanc.

Mais on arrive. Il entend des pas. Puis une voix. « Il n'est pas prudent de jouer les bois dormants, ces derniers temps. » Il se retourna, face à son sentier bouché. La neige est remuée, il ne tardera pas à rencontrer cet étalon qui vient interrompre sa nuit. Son oreille sourde en arrière, il se méfie. Il se trouve tout de même dans un cul-de-sac. Mais une part curieuse de lui le pousse à garder sa droite pointée vers l'avant. Enfin prêt à recevoir l'inconnu, il chasse la neige restante de ses pouvoirs.  « Bonjour. Qui êtes-vous ? »

L'inconnu étalon bai a pu constater de l’appartenance de Konhandro au royaume de l'eau. Mais l'ibérique ignore tout de lui. Vent-il en ami ou est-il malintentionné ? D'où vient-il ? Droit et aux aguets, le blanc attend. Prêt pour fuir au moindre doute des intentions de l'inconnu.

«Oui... bonjour. » En entendant ces mots, le blanc perdit un peu de sa méfiance. Il semblait que le noir n'était pas un gros lard sans éducation. Konhandro, il aime bien la politesse. Car la politesse, c'est beau et c'est agréable. Et cela lui permet d'être plus facilement en confiance. Qui se plait à parler à un sauvageon sans éducation ? Certainement pas lui.

Crönn. Voilà un nom bien joli pensa-t-il. Le début de sa phrase eut pour seul effet de lui faire froncer les sourcils. Il lui aurait volontiers demander pourquoi il avait dit cela mais Crönn bougea et ses sens se mirent en alerte. Il ne le connaissait que très peu, presque pas du tout, son instinct de fuyard le poussait à rester aux aguets. La tête basse de l'autre étalon lui indiquait qu'il n'avait sans doute rien à craindre mais il ne savait pas à quel royaume il appartenait et ça, ce n'était pas bien rassurant.

Comme s'il avait deviné ses pensées, le noirot fit fondre la neige et instantanément, Konhandro se détendit. Du sang du royaume de l'eau, tout comme lui. Ainsi, il n'aurait rien à craindre d'un camarade. Ceci le soulagea, l'idée de rencontrer un opposant en ce lieu n'était pas très réjouissante bien qu'il aurait largement pu se défendre avec toutes ces molécules H2O. N'étant pas en danger, il se redressa et répondit fièrement « Mon nom est Konhandro »

Il aimait bien son nom. Né de la brume en était la signification. Avoir un nom accompagnant à merveille son élément lui apportait un peu de fierté. N'entendre et ne voir qu'à moitié n'était guère très glorieux. Et en parlant de vue, il ne voyait qu'à moitié Crönn et cela ne lui plaisait que fort peu. Il tourna sa tête légèrement vers la gauche et, comme pour expliquer son mouvement bien qu'il voulait surtout satisfaire sa curiosité, demanda « Vous avez dit qu'ils vous nomment Crönn. Ce nom ne vous plait pas ?  » Konhandro portait son nom avec joie mais il n'avait pas l'impression que l'autre équidé portait le sien avec le même enthousiasme. Voilà quelque chose d'intriguant.

Konhandro sourit légèrement. Les mystères l'intriguaient et en l'occurrence, le dégoût que Crönn portait sur son propre en était un. Il voulait savoir quelle en était la raison. L'ibérique, si l'on devait en citer un défaut, était très curieux. Cependant, a curiosité n'était jamais allée plus loin que les limites. Il tenterait de percer le mystère mais si le secret était derrière une porte close, il n'en forcerait pas la serrure. Mais ce sourire qu'abordait le noir ne faisait que le tenter de pousser un peu la serrure.

Roh. Voilà que la conversation se détournait sur son nom. Bien entendu, son nom lui plaisait. Il redonnait un peu d'éclat à son allure inquiète la quasi-totalité du temps. Le blanc aimait entendre son nom mais pas lorsqu'il était sujet à des moqueries diverses. Enfin ça, c'était passé. Bien que son nom lui faisait parfois, ou même souvent, bomber le torse, il n'en s'en sentait pas supérieur pour autant. Il n'était pas vraiment un guerrier contrairement à ce que son nom pouvait laisser penser et cela l'arrangeait, surtout pour paraître plus imposant face à des inconnus.

Ayant remarqué que Crönn s'était un peu attardé sur son mauvais œil avant de parler, il ne tarda pas à lui répondre à son tour. Pour le moment, sa différence resterait un secret. « Inutile de le nier » lui répondit-il accompagné d'un fin sourire espiègle. Il n'avait pas encore oublié sa question. Mais pour obtenir l'ouverture du coffre fort, il devrait sans doute accepter d'ouvrir le sien. Le noir n'avait aucune raison de lui confier la raison de son manque de fierté à être nommé Crönn si lui-même ne lui disait point pour quelle raison il adorait Konhandro. « Dites-moi donc pourquoi vous n'aimez guère votre nom je vous prie et je vous dirai pourquoi je porte le mien tel un titre prestigieux. »Aussi poliment demandé, il espérait pouvoir satisfaire la curiosité des deux étalons.