Quel honneur y avait-il à guider un royaume vide ?
La toute jeune, et fraîche, Maîtresse de l'Air, avait ressenti le besoin de s'échapper à son pays natal, recherchant la douceur et quiétude des terres neutres, peut être même la rencontre d'un autre équidé.

Il y avait longtemps qu'elle n'avait pas croisé quelqu'un, si ce n'est cette jument de l'eau qui avait osé pénétré les terres de l'air, et ce sang-mêlé, Adonis, qu'elle acceptait comme un des siens, ce dernier possédant en lui une partie d'elle.

En marchant d'un pas tranquille, mais aérien, la brune avait entendu un vacarme soudain. La brume environnante, banale en ce lieu, l'empêchait de scruter les environs. Poussée par la curiosité, elle se laissa donc guider par ses pas un peu plus près de la source du bruit. Une silhouette sombre se dessina dans la vapeur d'eau. Elle se figea, perturbée par un mouvement dans l'air. Serait-il un de ses frères, perdus ?

Elle se figea à quelques mètres, et chassa le nuage de brume d'une respiration calme et sereine. Ses prunelles noires et profondes purent enfin se poser sur la robe tout aussi noire et profonde d'un étalon, finement taillé dans l'obsidienne. Il était blessé, et se trainait. En apercevant la faille juste à côté de lui, Cockoo put aisément deviner qu'il était tombé.

Dans un mouvement de compassion, qu'elle portait uniquement aux êtres de l'air, la jument se rapprocha.

- Vous devriez soigner cette plaie, elle risquerait de s'infecter.

Elle s'arrêta à un mètre, respectueux, de l'étalon.

- Bonjour. Je me nomme Cockoo.

Et sans prendre de gants, puisqu'elle n'était pas brodée dans la dentelle :

- Êtes-vous un fils de l'air ? J'ai senti une perturbation dans l'atmosphère...

Elle n'avait aucune raison de cacher ses origines. Au contraire, elle était fière de les exhiber.

L'attitude méfiante et semi-agressive de l'étalon rendait Cockoo nerveuse. Mais pas de cette nervosité de mal être, de timidité. Non, celle qui précédait une colère ou une explosion de l'âme. C'était d'ailleurs souvent ainsi, avec Cockoo.
Elle ne lui avait rien fait. Elle se demandait bien pourquoi il l'agressait ainsi. Il ne devait pas avoir beaucoup d'amis, s'il réagissait comme cela avec tout le monde.

Mais certaine qu'il s'agissait d'un frère, Cockoo ne le laisserait pas installer entre elle et lui une ambiance inamicale. Après tout, ils étaient du même sang.
Elle garda donc son calme et se contenta simplement de se mouver un peu de côté, pour évacuer la pression exercée par le comportement du mâle sur elle.

- Au cas où elle aurait besoin d'un coup de pouce pour se refermer, il existe des plates médicinales qui poussent dans la forêt aux mille lucioles.

Elle redressa la tête et fit glisser son regard fier et profond sur les environs brumeux.

- Vous les avez surement vu, celles qui ont des boutons d'or pour fleurs.

Elle porta ses prunelles sur lui.

- Et ce que je faisais là... Je pourrai vous renvoyer la question, mais nous répondrions surement la même chose.

Elle s'approcha d'un pas, et planta ses yeux dans les siens.

Au final, il semblait bien qu'elle ait eu raison des doutes de l'étalon noir à son sujet. Un fin sourire étira ses lèvres brunes, alors qu'elle relevait la tête, le regard brillant.

- Je suis native de Denmoriny. Les terres neutres et le royaume de l'air, n'ont aucun secret pour moi.

Aucun. Elle se rappelait les escapades et les milles aventures qu'elle avait vécu avec son père, lorsqu'il la formait à devenir une grande guerrière pour rendre fière son royaume. Les plantes, les animaux, passages secrets, astuces de survie... Il lui avait tout appris, presque tout montré. Le reste, éduquée par la curiosité et la découverte, elle l'avait fait d'elle-même.
Cockoo fit glisser ses prunelles sur le corps fin mais musculeux du mâle, pensive.

Les terres de l'air étaient devenues bien vides. Il lui manquait la présence des siens. Elle avait besoin de voir du monde, de sentir l'air vibrer dans un même souffle, dans une même onde qui galvaniserait l’entièreté de son peuple.

Gonflant ses flancs d'une grande inspiration, avant d'expirer doucement, Cockoo reporta son regard sur le visage du noiraud.

Rectifications : a priori, ce gars là, souffrait de bipolarité, voire de tripolarité suraiguë. Un moindre mot en trop, ou en moins, qui serait passé crème auprès d'un autre équidé, lui, le relevait et s'en offensait même. Et il allait encore plus loin, puisqu'il désirait vérifier les dires de Cockoo, en lui demandant ce qui se trouvait au fond de la crevasse.

D'abord, elle le fixa, bouche ouverte, ne pouvant s'empêcher de penser qu'il lui manquait un grain. Puis, ensuite, elle se reprit et sursautant légèrement, reporta son attention sur la crevasse. Il ne lui fallut que deux ou trois secondes pour répondre.

- Et bien, si tu vas la dedans... De un, tu resteras coincé parce que c'est très profond et humide, les parois sont glissantes, impossibles de remonter. De deux, tu finiras étouffé et raide mort, parce qu'il n'y a pas assez d'air respirable, là bas.

Elle le fixa, ensuite, ses prunelles étincelantes de curiosité à son égard.